A l'envers, à l'endroit

VME.
Trois lettres pour trois petits mots.
Version de Manoeuvre Externe.
Je t'en parlais il y a quelques jours ici. Le Locataire est en siège et j'ai rendez-vous pour tenter de le remettre dans le "droit chemin".
Voilà mon ressenti du moment, comment je l'ai vécu et surtout la finalité de la manoeuvre. A l'envers ou à l'endroit?



Il est 6 heures du matin ce 1er décembre lorsque le réveil me tire hors de mon lit. J'ai mal dormi. Et trop peu.

Petit-déjeuner rapide puis douche qui ne le sera pas moins. Mes affaires m'attendent depuis la veille. Je suis prête. Hormis ma tête qui a bien du mal à réagir, à s'allumer.

Mon petit sac de voyage à la main, je descend rejoindre l'arrêt de bus à quelques centaines de mètres de moi. 6h58: pour une fois il est à l'heure. Le ciel est complétement noir, sans une étoile et le soleil n'a pas l'air pressé de montrer ses premiers rayons matinaux. Je m'engouffre dans le bus, lui aussi dans le noir.
Mon esprit est raccord avec eux.

Quinze minutes plus tard, j'attend la correspondance qui me ménera à destination. Je tremble. Et pas seulement à cause des températures à peine positives de ce lundi.

A cette heure-ci, le "bus-tramway" est déjà surchargé de jeunes étudiants mal réveillés et de travailleurs blasés. Tant bien que mal je réussis à me frayer un passage avec mon Locataire et même à pécho une place assise.
J'ai de la chance.

Les odeurs de parfum et de tabac froid se mélangent et me sont toujours aussi difficilement supportables, encore plus le matin, et l'air ambiant en est envahi. J'enfonce un peu plus mon visage dans mon écharpe pour tenter de les atténuer, tout en réprimant mes haut-le-coeur.
J'ai l'habitude.

Le trajet me semble durer des heures mais bientôt le bus crache des flots de voyageurs pressés pour m'y laisser seule - ou presque - en tête à tête avec mon Locataire, jusqu'au terminus: maternité.

Il est 7h37 lorsqu'il me débarque. J'ai rendez-vous à 8h00.
Je profite de quelques minutes pour respirer l'air frais, après mon séjour en boite de conserve. Je me sens mieux.

Je me présente à l'Hôpital de jour comme indiqué sur ma convocation, surprenant 3 sages-femmes devant ce qui n'est certainement pas leur première tasse de café du matin. Elles m'accueillent pourtant avec le sourire, me demandant de patienter à côté. Je leur accorde bien volontiers cette pause, je suis loin d'être pressée.
J'en profite pour, à nouveau, rassurer Le Locataire - au même titre que moi - sur la manipulation dont il va être l'objet, à grands coups de "ça va bien se passer", "on va un peu t'embêter mais ça ne sera pas long" ou de "on va être courageux tous les deux".
Je ne me trouve pas bien convaincante mais je m'en persuade. Pour lui. pour nous deux.

Plus tard, une des sages-femmes me rejoint. Elle me met immédiatement à l'aise.
Il faut dire que l'on porte le même prénom et qu'en plus, nous sommes originaires du même endroit! On parle de tout autre chose pendant quelques minutes, je me décrispe un peu.

Elle rentre ensuite dans le vif du sujet en me rappelant la procédure - on est pas là pour enfiler des parles non plus. D'abord une écho pour vérifier si la rotation n'a pas eu lieu (sait-on jamais) puis monito de 20 minutes et ensuite début de la VME.
Elle me rassure: ça n'a rien de dangereux. Je le sais pertinemment.
Mais ça n'est pas anodin non plus. Je le sais encore plus.

Je sais, oui.
Je sais qu'il n'y a absolument rien de grave à mon état, que le Locataire et et moi sommes en excellente santé mais je ne peux m'empêcher de m'angoisser... C'est plus fort que moi.

Etape 1: l'échographie.
Pas le pire moment de cette matinée, au contraire! Je croise les doigts une dernière fois pour que le Locataire ai enfin choisi le bon sens - tête en bas - c'est notre dernière "chance" d'échapper à tout ça...
Oui, enfin ç'aurait été trop beau hein!

Rien n'a évolué depuis la dernière fois, malgré toutes mes tentatives pour le faire se retourner. Enfin je ne suis pas surprise.
Je profite au moins de ce moment privilégié: découvrir ses cheveux - nombreux! - son mignon profil, entendre les battements de son cœur...

Cette agréable pause prendra vite fin.
L'attente reprend. Pendant que, certainement, mes résultats sont décortiqués.
Les minutes s'égrainent lentement. Je m'impatiente presque.

Enfin - si je puis dire - c'est le moment. Ma compatriote SF vient me chercher.
Je reste silencieuse pendant que nous nous dirigeons vers l’ascenseur. Direction le deuxième étage où l'on rejoint UGO - les Urgences Gyneco-Obstétriques.
J'ai une boule dans la gorge , que je ne réussis pas à ravaler, en passant la porte presque blindée de la salle de travail.



J'ai la sensation d'un retour en arrière de presque sept ans en m'installant sur le lit.
La fameuse blouse "cul-nu" que j'enfile, les odeurs de cette chambre, le monitoring que l'on me pose et le son des battements du Locataire qui cogne sévère: tout me ramène - évidemment - à ma rencontre avec le Noahsien.
Ne manque que l'essentiel pour que le sentiment soit complet: la douleur des contractions. Bien que "manquer" ne soit pas vraiment pas le terme qui convient!

Je reste comme figée pendant cette demi-heure où les sages-femmes, aides-soignantes titulaires ou stagiaires se succèdent. Un ballet d'allées et venues qui s'affairent autour de moi: des coups d’œil au monito, une injection intra-musculaire histoire de détendre mon utérus - c'est qu'il en a bien besoin! - des "ça va?" à chaque passage.

Mon cœur palpite, et pas qu'à cause de l'injection qu'on m'a faite dont l'accélération du rythme cardiaque pouvait être un effet secondaire et qui l'est bel et bien. Ma Gygy entre dans la chambre. C'est l'heure.

Je respire un grand coup. C'est parti.
Mon rosbidon ruisselle de gel de contact, elle appose ses mains - une en haut, une en bas - et appuie, pas si fort que je l'aurais pensé, tout en pivotant vers la gauche. Dans le même temps, elle vérifie la rotation avec l'échographe.
Je sens clairement le Locataire - étrangement très calme - bouger, suivre le mouvement donné par la doctoresse. La sensation est bien désagréable mais pas douloureuse comme je l'imaginais.
Je continue de respirer profondément pendant qu'elle poursuit la manœuvre, passant de mon ventre à l'échographe. Je me crispe par moment mais je sens le Locataire en sens transversal. Ça me gêne mais ça ne durera que quelques secondes de plus.
Je ferme les yeux.

Quand je les rouvre, je vois un large sourire éclairer le Docteur.
Je me tourne vers l'écran et n'en crois pas ce que je vois. Elle a réussi ! On a réussi.
En cinq minutes à peine, le Locataire se retrouve à l'envers - ou à l'endroit selon comme on le voit - la tête en bas. Comme il devrait, comme on le voulait, comme je l'ai souhaité tellement fort.

Je n'en reviens pas. Je crois qu'elle non plus. Je sens son soulagement, et remarque les quelques perles de sueurs sur son front qui en témoigne. Je n'étais pas la seule à stresser je crois, ni à douter de la réussite de la manœuvre.
Elle m'avouera alors que les conditions étaient bien loin d'être optimum pour y croire vraiment, qu'elle ne comptait pas essayer bien longtemps car presque persuadée de l'échec de l'opération. Et pourtant...!
Elle sait que nous devons cette réussite au bon vouloir du Locataire et me félicitera même pour mon courage - un mot qui me semble bien imposant, moi qui n'ai pourtant rien fait d'autre que lui faire confiance.

Je n'ai toujours pas réalisé lorsque je me rend compte qu'elle est en train de passer le pas de la porte. Je lui envoie un "merci" qui me semble tellement simpliste, mais c'est la seule chose qui me vient à ce moment-là.
Je me retrouve de nouveau seule avec mon Locataire et je ne peux empêcher mes larmes de couler. La pression retombe. Je suis délestée d'un poids qui m'oppressait plus que je ne voulais me l'avouer.

Je resterai encore en observation quelques heures avant de rentrer, simplement, chez moi. Avec tout de même un suivi à respecter à la lettre. Et une sensation de fatigue saisissante.
Rien de plus.

Je sais que j'ai échappé à un accouchement prématuré, presque provoqué. Ce qui n'était pas si grave en soi.
Je sais que j'avais de faible chance de faire se remettre à l'endroit le Locataire. Ce qui n'était pas indispensable à la bonne venue de celui-ci.
Je sais qu'il était peu probable que je puisse, de ce fait, accoucher par voie basse dans les conditions qui étaient les miennes. Ce qui n'aurait pas influé sur mon futur bonheur de (re)devenir Mummy.
Je sais qu'il y a des difficultés bien plus graves que celles que j'ai pu vivre ce jour-là. Ce qui ne m'a pas empêcher de m'angoisser sans réussir à me raisonner.
Je sais qu'il n'y avait pas de quoi dramatiser comme je l'ai fait. Ce qui ne signifie pas que je ne suis pas sincère dans tout ce que j'ai pu décrire ici.

Mais pour celles qui sont ou qui seront dans cette même situation, j'ai envie de dire que cette manipulation n'est pas toujours douloureuse comme je l'ai trop lu/entendu; que ça n'est pas un acte de barbarie. Loin de là. Que ça peut fonctionner même si le pourcentage de réussite est faible, que ça peut très bien se dérouler sans que ça déloge ton Locataire obligatoirement. Que l'important est d'être suivie par un médecin compréhensif, d'en parler, de savoir que l'on peut stopper les choses à tout moment et même les refuser. Que cela reste un choix qui nous est propre, que quoi que l'on choisisse, ce ne sera ni le bon, ni le mauvais.


Commentaires

  1. Les larmes aux yeux (j'ai la larme facile)
    J'ai angoissé avec toi, j'ai était soulagé avec toi et j'ai été surtout admirative. Je pense que ton "locataire" c'est laissé faire car il a senti que tu avait confiance. Je suis ravie que tout ce soit bien passé et rapidement ;)

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    1. Merci pour tes mots, ça me touche vraiment... Et j'ai la larme ultra facile aussi, encore plus en ce moment...
      Je suis contente d'avoir réussi à faire passer ce que je ressentais à ce moment-là en tout cas... Encore merci !!

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    2. Oui enceinte c'est décuplé ! Pendant ma grossesse, j'ai fondu en larme en grande surface car un bébé qui était derrière nous à la caisse pleurait MDR.

      Tu as vraiment réussi à faire passer tes sentiments !

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    3. Je suis encore pleine d'hormones, d'accord...mais tes mots me touchent très fort...Merci!

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