Dans ma bulle

Lundi 5 Janvier.
Je suis à plus 4 jours de mon terme, prévu le 1er Janvier - et bonne année - et aujourd'hui, j'expulse le Locataire de son studio devenu bien trop étroit pour lui.
Aujourd'hui, mon fils - maintenant je peux te le dire que c'est un garçon - naîtra.
Enfin!



Il faudra attendre l'heure de l'apéro - tiens, comme par hasard! - aux environs de 18h00 pour que je te rencontre.
Sans rentrer dans les détails, l'accouchement n'a pas été des plus simple, mélange d'angoisse et de soulagement, mais j'oublierai tout à peine on te posa sur mon ventre, même ne serait-ce que quelques secondes.
La photographie de tes grands yeux plongeant dans les miens est gravé en moi, à côté de celle de ton frère le Noahsien au même instant de sa vie, le début.

Il ne sera pas loin de 20h00 quand, enfin, je pourrai te prendre dans mes bras pour la première fois. On me laissera seule avec toi pour ce moment d'éternité.
Un sentiment de bonheur impossible à décrire. Tu es là. A ce moment-là, plus rien d'autre ne comptera.

Mardi 6 Janvier.
Je reprend doucement mes esprits et redécouvre peu à peu les sensations, les gestes à faire, les soins à t'apporter. Pas loin de sept ans après. Je redeviens par moment une Nulli(pare), je reprend mes marques.
C'est encore un grand jour pour toi mon Locataire: hier, tu découvrais tes parents; aujourd'hui ton grand frère.
Nous sommes enfin quatre. Au complet. Tout du moins pour l'instant...
Je savoure chaque moment, chaque sourire, chaque tressaillement de tes paupières, ta bouche. Chaque mouvement de ta part, chaque parole de ton grand frère à ton égard. Et même presque chaque cri, chaque pleur.
Je suis heureuse. Je ne sais pas s'il est possible de l'être encore plus.

Mercredi 7 Janvier.
Je me réveille à tes côtés. Nous sommes dans notre cocon depuis deux jours maintenant, je ne sais rien du reste du monde, je m'en suis coupée presque inconsciemment. Plus rien ne compte que toi, que notre famille.
Le Daron arrivera dans notre chambre vers 11h00. J'ai des cernes sous les yeux, mais le sourire aux lèvres, comme depuis ton arrivée.
Et c'est là que j'apprend:

"Il y a eu un attentat à Charlie Hebdo, t'es au courant?" me demande-t-il.
J'ai du mal à percuter.
"Il y a au moins une dizaine de morts...Cabu...Wolinski..."

Je lâche un "quoi?" de confusion. Je n'y crois pas. Comme si c'était une mauvaise blague. Ça me parait tellement irréel. Inconcevable.

Je suis choquée. Abasourdie. Je ne comprend pas.
Je ne fais même pas le lien avec toutes les menaces que ces hommes ont subi il y a quelques temps. Depuis leurs caricatures du prophète. Que j'ai mit de côté aussi.
Je suis en dehors du temps. Et mon Mini me ramène vite dans ma bulle: la tétée, le change, le bain, les câlins.
J'oublie ce drame qui vient de se passer. Je le met de côté. Je ne veux pas y penser.

Cet après-midi là, le Léo(sien) fraîchement débarqué rencontrera ses grands-parents, ses cousines. Passera de bras en bras, recevra des tonnes de câlins, de compliments et de jolies choses.
Le Daron allumera la télé, pour la première fois depuis que je suis à la maternité, et découvrira l'horreur. Je n'y jetterai que de discrets coups d’œil. Et je l'éteindrai rapidement.

Très égoïstement, je n'ai pas envie de savoir, pas envie de voir. Pas envie que cette tragédie, cette barbarie vienne percuter mon bonheur, le salisse.
Pas encore.
Pas maintenant.
Je veux rester dans ma bulle et ne plus en sortir.

Le soir même, je me retrouve seule. Mon (ex)locataire dort profondément à mes côtés.
Je rallume le poste. Et pour la première fois, je vois. Le carnage puis la traque. Je comprend tout à présent.
La bulle que je me suis créée vient de se fissurer. Mes larmes coulent devant les images et les visages de ces gens qui n'ont rien fait d'autres que tenir un crayon, et se marrer.

Je tourne la tête vers mon Mini et je souris...
J'ai presque honte de continuer à être heureuse, si heureuse alors que la France entière - ou presque - sombre dans le chaos. Et tout s'enchaîne: prise d'otage, encore des meurtres, du sang au nom d'une religion (peu importe laquelle finalement) qui ne prône que paix et amour.

Puis vient le temps des hommages. Et la Marche.
Des millions de gens dans les rues hurlent qu'ils n'ont pas peur d'une même voix. Je ne pourrai pas y prendre part et je le regretterai. Même si j'ai la plus belle des excuses.
J'aurais voulu participer à ce "tout", marcher aux côtés de ces hommes et femmes, défendant la même liberté, quelque soit leur croyance, leur origine, leur couleur. Un mouvement historique auquel j'aurais aimé appartenir. Je trouve ça tellement beau!
Cette foule me donne le frisson. Cela fait longtemps que je n'avais pas ressenti cette fierté d'être française...

Ma bulle est toujours là. Celles de Charlie le sont aussi.
Et finalement, c'est aussi ça que faire face à la terreur et au terrorisme: continuer à vivre, à rire et être heureux malgré l'horreur. Ne pas oublier mais avancer.

#jesuischarlie
Je suis Juif.
Je suis Musulman.
Je suis Chrétien.
Je suis Flic.
Et je suis surtout Mummy. A nouveau. Pour toujours.

New born. New Day.

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